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2006/12/27

Bonheur tranquille

Tandis que mes mésanges s'affairent à la mangeoire, je me sers un double café au lait, puis je ressors l'ouvrage que je suis à broder.

C'est un tapis aux motifs des tapis d'Arraiolos du Portugal. Ce patron se nomme Santo Antonio et il est construit selon l'iconographie classique des tapis de ce petit village en Alentejo caractérisée par l'ajout de fleurs et de petits et grands animaux (animais) courants de la vie rurale.

Les tapis d'Arraiolos respectent, pour la plupart, la construction des tapis d'Orient. C'était d'ailleurs, à l'origine, la reproduction des trésors que rapportaient les explorateurs portugais des pays lointains. Au tout début, les reproductions étaient brodées dans les couvents, au point de croix à fils comptés sur un support de toile de lin fine. Les exemples qui figurent dans les musées portugais (Janelas Verdes ou Ricardo Espirito Santo Silva) témoignent d'une confection fine et raffinée, riche en détails.

Trois composantes entrent dans la disposition d'un tapis : le médaillon (centre du tapis), le champs et la bordure. Pour compléter l'ouvrage, il s'agit de basculer le patron en se servant du médaillon comme point central, de la gauche vers la droite, puis du bas vers le haut. L'ensemble du tapis est donc une composition en quatre parties. Pour y avoir médité en brodant des milliers et des milliers de points de croix, je peux dire que c'est aussi la représentation de soi et de l'autre, du monde matériel et du monde spirituel. As above, so below. C'est un espace privilégié à l'intérieur duquel la personne qui y pénètre peut accéder au Sacré. Il s'agit de penser aux kilims et aux tapis de Perse qui représentent le paradis et dont les tapisseries aux mille fleurs des Flandres sont les riches héritières.

Ces jours-ci, à Arraiolos, on peut visiter les ateliers où ces tapis sont confectionnés et il n'est pas rare de voir 4 artisanes placées à chaque coin du tapis qui travaillent chacune de leur coin extérieur pour se rencontrer au centre de la rosace centrale.

Les tapis d'Arraiolos, pour satisfaire à la forte demande mondiale, sont maintenant confectionnés sur une jute grossière, à la laine, en utilisant le point de croix allongé (de Moravie). Ce point de broderie, une autre caractéristique des tapis d'Arraiolos, est apparu lorsque la confection commerciale de tapis a débuté à Arraiolos, il y a plusieurs siècles.

S'il est vrai que le point de croix allongé, l'usage de la laine et de la jute permettent une plus grande productivité, pour ma part je préfère travailler sur du lin fin, avec du coton mercerisé qui est plus soyeux et plus richement polychrome que la plupart des laines retrouvées sur le marché, en me servant du point de croix simple qui «redresse» l'ouvrage en exerçant une tension égale de part et d'autre du point. Il en résulte une pièce finie sans la moindre distorsion de la trame de fond.

Broder un tapis est un plaisir infini. D'un textile de support combiné à du fil soyeux, on parvient à créer un textile qui a sa propre identité. C'est une manière d'entrer dans la matière et beaucoup plus satisfaisant que la création d'une oeuvre «à plat».

Voici le premier tapis aux motifs d'Arraiolos que j'ai réalisé. Il m'aura fallu deux années et demie (calculer une pause équivalente à presque 10 mois durant sa confection - il arrive un moment où on ne peut plus voir l'ouvrage, même en peinture!). Il mesure presque 2 mètres par un peu plus d'un mètre.

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